lundi 13 juillet 2015

Lecture: Les producteurs



Après "Les falsificateurs" et "Les éclaireurs", j'ai enfin pu terminer ma lecture de cette trilogie d'Antoine Bello.
Autant prévenir ceux qui ne l'auraient pas encore lu, je n'arriverais pas à chroniquer cet opus sans spoiler, je vous déconseille donc fortement de lire cet article sous peine de voir votre lecture totalement gâchée.

Résumé: Sliv Dartunghuver vient d'accéder aux instances dirigeantes du Consortium de Falsification du Réel, organisation secrète internationale qui s'efforce de maintenir une harmonie relative sur la planète en construisant de toutes pièces les légendes dont l'humanité a besoin. Or le CFR est dans la tourmente, menacé par la divulgation de documents internes et décrédibilisé par plusieurs échecs (dont la création d'Al-Qaida, pure fiction née des cerveaux des falsificateurs du CFR dans le but de faire comprendre au monde la menace de l'extrémisme islamiste). Avec l'aide de ses amis Youssef et Maga, et de la belle et redoutable Lena, Sliv se lance dans une série de mystifications toujours plus audacieuses, qui l'entraînent de Hollywood à Hong Kong, de Sydney à Veracruz, et jettent un jour nouveau sur l'élection d'Obama, l'épidémie de grippe H1N1 et la découverte d'une fascinante cité maya. La jubilation de l'auteur à échafauder des scénarios vertigineux transparaît à chaque page de ce récit à la fois divertissant et profond.

Ce tome m'a laissée plus perplexe que les deux précédents. Pourtant les 2 pivots de l'histoire sont très bien menés: d'un côté l'élection d'Obama, avec le rôle du CFR dans cette élection, et de l'autre la création d'une civilisation perdue descendante des Mayas.

Sur le point de la politique américaine, je dois avouer qu'encore une fois, j'ai été bluffée par le réalisme de ce que nous propose Bello. Qu'est-ce qui empêcherait de telles manipulations d'opinions, par l'utilisation des réseaux sociaux, par l'utilisation des faiblesses du système électoral américain, par exemple que "le marketing électoral américain repose moins sur la promotion de son champion que sur le dénigrement de l’adversaire", ce qui pousse Maga à retourner ces pratiques contre leurs auteurs, puisque "dans certaines conditions, des campagnes de calomnie pouvaient se retourner contre leurs auteurs, en les discréditant au sein même de leur électorat".
J'ai aussi beaucoup aimé la position du CFR vis à vis de John McCain: ne pas le discréditer, mais le soumettre à un "test de caractère", comme l'indique Sliv, en lui tendant un piège sur le choix de son colistier: soit il choisit indépendamment des pressions de son parti, soit il choisit la "bécasse" proposée par le CFR.
Dans tous les cas sur cette élection américaine, la position du CFR est de laisser aux hommes leur libre arbitre pour la décision finale, tout en ayant au préalable donné toutes les chances au parti qu'ils soutiennent.

Le deuxième sujet de falsification du roman est la création par Léna et Sliv d'une civilisation disparue, basée sur la concorde. Je dois avouer que si la réalisation de cette falsification est magistrale, en particulier pour ce qui me concerne pour le coup de l'épave, qui aurait pu être le véritable point d'achoppement de cette histoire, mais dont la solution est à mon sens formidable, j'ai une peu de mal à comprendre le but final de cette falsification. Montrer les vertus de la concorde? Je ne suis pas convaincue par le sujet (peut-être suis-je trop rationnelle pour ça). Ce qui est aussi très surprenant, c'est que cette falsification est l'oeuvre de Léna, revenue en grâce après avoir trahi le CFR, ce qui pour une telle organisation semble peu crédible. Quant à l'amour de Sliv pour Léna, on le sentait venir depuis longtemps, et ça n'apporte à mon sens pas grand chose au roman. On peut bien sûr le rapporter à l'amour de Nina pour Sliv, et la post-face peut apporter un éclairage à ce double amour éconduit.

Deux autres sujets, plus mineurs dans le roman, m'ont beaucoup intéressée. Ils sont tous les 2 reliés à Vargas, ancien du CFR reconverti en consultant, qui crée des histoires pour le profit de ses clients, et le sien. Le premier, c'est la manipulation autour de la grippe H1N1. Cette épidémie qui a tellement défrayé la chronique, conduisant une bonne partie de la population à se faire vacciner (même nous on l'a fait!). Pourtant déjà à l'époque bien des questions avaient été posées sur les commandes faramineuses de vaccins par l'Etat Français, et la version qu'en propose Bello est là encore tout à fait crédible. Il pose finalement la question de la véracité des informations qui sont transmises au grand public, et de la manipulation de masse pour le profit de quelques uns. On sort dans ce cas du cadre des falsifications du CFR, qui ont pour but le bien de l'humanité, même si il y a des ratés, pour rentrer dans celui de la manipulation. Et quoi de mieux que la santé pour jouer sur les peurs des gens? On le voit d'ailleurs dans les polémiques actuelles sur les vaccins qui jouent sur les angoisses des parents par rapport aux risques encourus par leurs enfants.
Le deuxième point, c'est les modifications que nous exerçons nous mêmes sur notre mémoire, et sur les évènements qui nous sont arrivés: "Il est prouvé que la façon de raconter une anecdote dépend de l'accueil que lui réservent ses publics successifs. L'histoire s'enrichit progressivement, pour se figer au bout de cinq ou dix restitutions dans une forme qui n'a souvent qu'un lointain rapport avec la version originale. [...] Tout souvenir est une recréation." Ca fait réfléchir sur ce qu'on sait de nous, et ça fait tilt chez moi: ça m'est déjà arrivé de raconter une anecdote à des amis devant Mr Souris, et de me faire reprendre sur la version des évènements. Peut-être effectivement n'ai-je retenu et raconté que ce qui allait dans le sens de ce que je voulais faire passer.... C'est par exemple le cas de la naissance des enfants!

Au niveau des personnages, le roman est cette fois-ci centrée sur Sliv, Léna et Nina, et j'ai trouvé dommage que l'amitié de Sliv avec Maga et Youssef passe au second plan, alors que c'était un élément fort des deux premiers tomes. Bien sûr ils interviennent dans le roman, mais de façon plus "épisodique", et je trouve que Maga n'est pas forcément montrée sous son meilleur jour.
De même, j'ai été déçue par le traitement réservé à la perte de la mallette contenant les scénarios: c'est finalement le seul sujet qui intéresse Yakoub tout au long du roman, et on ne sait pas vraiment à la fin si c'est le hasard qui conduit à la réalisation des différents sujets, ou si c'est quelqu'un qui a profité de la découverte de la mallette.

Quant à la post-face, qui finalement introduit un roman dans le roman, elle donne un éclairage différent à l'histoire, mais pour moi le roman n'avait pas forcément besoin de ça.

Au final, ce troisième tome est passionnant, comme les deux précédents, mais il me laisse beaucoup plus sur ma faim, d'autant qu'il n'y aura pas de suite, probablement parce qu'on reste en plan à la fois sur l'impact de la falsification des Chupacs, sur ce qui arrivera aux personnages....

2 commentaires:

  1. Je partage tout à fait ton opinion sur ce roman !

    http://tu-vas-t-abimer-les-yeux.blogspot.fr/2015/07/les-producteurs-antoine-bello.html

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  2. Tu vois, un mois ou 2 après l'avoir fini, je trouve vraiment que c'est le moins réussi des trois, je pense qu'il s'est vraiment ratée sur Léna, du coup, ça n'a pas tellement d'intérêt ce revirement, et comme toi, je m'attendais à voir la mallette resurgir à la fin de l'histoire et cette mise en suspend est gênante. Pour moi, il n'est pas assez travaillé (même si je me suis régalée à le lire je reste assez déçue)

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